Platform.sh est une startup fondée en France, qui compte 174 collaborateurs répartis dans 30 pays à travers le monde. Sa particularité ? Toutes ses équipes sont en télétravail.
Entretien avec Céline Mechain, VP People Ops de cette entreprise qui propose une nouvelle manière d’organiser le travail.
Comment Platform.sh est-elle devenue une entreprise « distribuée » ?
Pour la petite histoire, il n’y avait pas spécialement de volonté de s’organiser de cette façon à la création de l’entreprise. Les 3 fondateurs étaient basés à Paris et recrutaient des collaborateurs sur place, jusqu’à ce que l’un d’entre eux décide de se délocaliser. Il est apparu que cela fonctionnait très bien et c’est donc de cette initiative qu’est née l’idée de recruter des collaborateurs partout dans le monde. Pourquoi se contenter de recruter à Paris, alors que la guerre des talents, comme partout, y fait rage – et notamment dans le monde de la tech et des startups ? Pourquoi ne pas faire du monde entier notre terrain de jeu ? Nos pratiques et notre culture se sont construites en partie autour de cette expérience individuelle réussie. Et apparemment, cela fonctionne puisque nous figurons au Palmarès Best Workplaces !
Quel est l’avantage de ce modèle ?
On nous parle souvent de l’économie que représente le fait de ne pas avoir de locaux. Certes, c’est un coût en moins, mais il est finalement compensé par les déplacements permettant aux équipes de se retrouver (généralement deux fois par an). Ce n’est pas là que se situe la véritable valeur ajoutée de notre modèle. Ce qui fait toute notre richesse, c’est la diversité et le multiculturalisme de nos équipes. Nous les sensibilisons d’ailleurs beaucoup aux différences culturelles : tout le monde doit pouvoir s’adapter et éviter autant que possible les incompréhensions.
Grâce à notre organisation distribuée, nous avons l’opportunité de donner à nos collaborateurs le rôle qui les intéresse, tout en leur permettant de travailler d’où ils le souhaitent et de choisir leur cadre de vie.
Les profils que vous recrutez ont-ils des particularités ?
Bien sûr. Nous faisons attention à intégrer des personnes autonomes : par exemple des gens qui ont l’habitude de télétravailler, ou bien des consultants, des freelances, des entrepreneurs… Il est nécessaire d’adhérer à cette culture et de véritablement la choisir pour s’y sentir bien. Par exemple, lorsqu’on est dans un openspace, on peut à n’importe quel moment se tourner vers un collègue pour lui poser une question. Si on travaille tous à distance, c’est différent : il faut savoir se montrer plus proactif pour venir poser sa question, généralement sur notre outil de messagerie instantanée.
Nous recrutons donc essentiellement des collaborateurs qui ont déjà de l’expérience. La moyenne d’âge, chez Platform.sh, est de 36 ans, ce qui est un peu plus élevée que dans d’autres startups du secteur. Bien sûr, nous savons également intégrer des juniors dont c’est la première expérience professionnelle, et ça se passe toujours très bien parce que nous faisons en sorte de recruter avant tout des personnalités qui ont cette envie et cette capacité à être autonomes et curieux.
La conséquence de ce type de recrutement, c’est que nous avons une culture d’entreprise très horizontale. Les collaborateurs sont proactifs, ils sont sur le terrain et proposent de nombreuses d’idées qui sont adoptées par l’entreprise. C’est comme ça que notre structure se développe et ça fait partie de notre ADN.
Faut-il nécessairement intégrer une étape physique à l’onboarding des nouveaux arrivants ?
Nous avons gardé un petit bureau à Paris, où travaillent régulièrement 5 à 10 personnes (des équipes techniques, mais également sales et marketing), et on peut y former des stagiaires. Si les nouveaux collaborateurs en ont la possibilité nous pouvons aussi y organiser des meeting d’équipe durant leur phase d’intégration, mais ce n’est en aucun cas obligatoire pour voir cette phase de formation réussir.
L’onboarding se fait généralement 100% à distance. Avant même que le collaborateur ne rejoigne l’équipe, nous préparons tous les aspects administratifs et techniques. Chacun a la possibilité de choisir son équipement, que nous lui faisons livrer avec des goodies. Le jour de son onboarding, tout doit être prêt et fonctionner correctement. Des rendez-vous sont organisés pour présenter l’organisation, l’équipe, faire une démo de notre produit, etc. En réalité, on fait exactement la même chose que dans une salle de réunion – mais à distance.
Y a-t-il des choses qui sont spécifiques à la culture d’une entreprise où tout se fait à distance, ou presque ?
Nous avons une grande culture de l’écrit. La distance géographique fait émerger un besoin fort de s’appuyer sur une documentation solide, qu’elle concerne les produits, les process internes ou l’utilisation des outils. Chacun doit être force de proposition pour alimenter et améliorer en permanence cette documentation.
Le management est également différent, même si les principes peuvent rester les mêmes que dans n’importe quelle entreprise. La communication écrite prend une plus grande place que la communication verbale. Les managers instaurent des rituels, une routine : réunions d’équipe, one-to-one une fois par semaine… Pour que les échanges soient plus faciles, nous privilégions des petites équipes. Et puis, nous organisons un grand meeting annuel d’une semaine – en plus des réunions d’équipes physiques, qui ont lieu elles aussi au moins une fois par an. Les collaborateurs sont ravis de participer à ces temps conviviaux.
Justement, la convivialité n’est-elle pas impactée par le fait de ne jamais se voir ?
Non, pas du tout. Il y a une vraie convivialité, les collaborateurs sont très soudés grâce à notre culture collaborative de travail. Parfois, comme lorsque vous jouez à des jeux vidéos, les équipes laissent leur micro ouvert sur une longue plage horaire, en-dehors des temps de réunion. Il arrive aussi qu’un collaborateur créé un meeting ouvert à tous, une « pause café » informelle et virtuelle. Il est tout à fait possible de créer une vraie convivialité et un esprit d’équipe fort en-dehors des sentiers battus et des codes que nous connaissons.
Quels canaux de communication privilégiez-vous ?
Lorsqu’on est dans un bureau physique, on peut être dérangé à n’importe quel moment. En télétravail, on alterne entre des moments où on est vraiment seul, concentré, productif, et des moments « sociaux », qu’ils soient formels (réunions) ou informels.
Notre canal de communication principal est la messagerie instantanée, qui a quasiment remplacé le mail chez nous. Il y a beaucoup de fils de discussion, certains dédiés au travail, d’autres pour échanger sur des sujets personnels… Les collaborateurs ont besoin de cette communication directe, instantanée, d’avoir une réponse tout de suite.
Que conseilleriez-vous aux entreprises qui découvrent actuellement la culture du télétravail ?
Beaucoup de gens nous disent en ce moment : « pour vous qui êtes déjà en télétravail, ça ne doit pas changer grand-chose d’être confinés ! ». Or, cela nous impacte. Bien sûr, nous avons l’habitude de travailler de chez nous ; les collaborateurs sont autonomes, adhèrent à cette façon de travailler qu’ils ont choisie. Mais, même pour nous, les frontières se brouillent entre vie personnelle et vie professionnelle – surtout si on a une famille à charge.
Ce qui est important, c’est de bien séparer ces deux aspects. Il faut se créer un espace dédié dont on va pouvoir sortir (physiquement et symboliquement), une pièce où je peux fermer la porte par exemple, ou un bureau qui sera mon espace de travail. Il est important aussi d’instaurer une routine, une limite au niveau des horaires : ce n’est pas parce que vous recevez des messages tout le temps que vous devez être systématiquement disponible.
Pour autant, les horaires ne doivent pas forcément être les mêmes qu’au bureau et il est important de se montrer flexible. Vous êtes plus efficace en télétravail ? Alors, travaillez moins longtemps. Vous avez une famille à gérer ? Décalez vos horaires, adaptez-les à vos contraintes personnelles. La seule chose nécessaire est de se montrer transparent avec son équipe ou son manager sur ses contraintes personnelles afin que l’équipe s’organise en fonction.
Un écueil à éviter, que beaucoup de gens vivent en ce moment, c’est la réunionite. Les réunions sont nécessaires, mais ne devraient pas être multipliées sous prétexte de contrôler la présence de vos collaborateurs. Attention à bien prévoir et choisir les moments d’échanges et à utiliser les bons outils.
Enfin, ne pas oublier les temps informels. Tout ne doit pas être impulsé par les dirigeants, les RH ou les managers, il faut laisser les collaborateurs s’approprier les outils de travail pour proposer des temps d’échanges, des cafés virtuels… Le lien social est essentiel !